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10/09/2013

Travailler pour "savoir quoi faire et dire" ?

Six mille questionnaires dépouillés, tel est le «travail de bénédictin» comme le disait L'Express, de deux sociologues, Christian Baudelot et Michel Gollac. Le résultat de leur enquête est paru chez Fayard il y a dix ans sous le titre Travailler pour être heureux ? Et il semble à première vue que les Français répondent (ou répondaient) par l'affirmative à cette question. Ce qui peut paraître contradictoire avec d'autres études nettement moins optimistes.

«Interrogée sur ce qui est "le plus important pour être heureux", "plus d'une personne sur quatre invoque dans sa réponse le travail, notent les auteurs. Soit directement (22 %), soit sous la forme d'un synonyme - emploi, boulot, métier, profession".» Des sondages et analyses confirmeraient même que les Français placent le travail «juste derrière la famille, lorsqu'on les interroge sur les choses qui comptent le plus dans leur vie».

Ainsi donc les Français seraient «satisfaits de leur travail» et se déclareraient «tout simplement heureux au turbin». Mais nos deux sociologues ont voulu aller plus loin et percer à jour «ce qui les rend heureux dans leur travail». «D'abord, le contact, la rencontre, la relation à autrui, au bureau ou à l'usine. "D'autant plus que l'entreprise est en passe de devenir le seul lieu collectif de lien dans une société déstructurée".»

C'est en tout cas l'opinion du directeur du département développement des personnes de la société de conseil Cegos. «Ensuite s'exprime la satisfaction de faire, de créer, d'agir, d'accomplir. "Le "faire" dont les individus ont besoin pour se réaliser, pour donner un sens à leur vie, est largement incarné dans le travail. Ne demande-t-on pas souvent aux personnes que nous rencontrons ce qu'elles font dans la vie ?".»

Le psychiatre qui s'exprime ici, fondateur du cabinet de conseil aux entreprises Stimulus, confirme ainsi la suprématie de l'action. Ce "faire" qui a tout envahi, le moindre recoin de l'existence. Toutefois, bien souvent, celui-ci ne consiste-t-il pas seulement à s'occuper l'esprit, les mains ?! Obéissant au "Bouge-toi !" impératif de toute la société ; cette action pour l'action. Mais pour quoi faire ?! Car c'est "ce qu'on fait" qui importe.

Ce n'est pas le tout de tout faire pour éviter de "ne pas savoir quoi faire ou s'occuper", encore faut-il qu'il y ait de la matière, un intérêt. Etre "bon à tout faire", ce peut être "ne rien faire de bon", juste meubler ses journées, remplir sa vie. Alors heureux au travail les Français ? Pas malheureux plutôt, puisqu'il leur permet au moins d'avoir quelque chose à faire et quelques personnes de l'extérieur à qui parler. Et c'est bien ça le drame !

03/09/2013

La routine "fait le bonheur"

Les discours officiels résonnent dans nos têtes. Plus ou moins étayés par des études sociologiques qui confirment ce que l'on soupçonnait, à savoir qu'on ne trouve que ce qu'on cherche, ces discours proclament que le travail fait le bonheur, que le travail c'est la santé, etc. Oui sans doute, encore pour une part des salariés, mais qui n'est peut-être plus majoritaire ni importante. La preuve : cet article de 2004 dans L'Express, qu'on peut lire toujours "au présent".

Titré : L'ère des à-quoi-bonistes (de l'expression A quoi bon ? soit : A quoi cela sert-il ? Pourquoi ?), il s'appuie sur l'enquête menée par un cabinet conseil international, Towers Perrin, auprès de 15 000 salariés de six pays européens. Il apparaît «que seuls 15 % d'entre eux sont "fortement engagés" dans leur vie professionnelle. C'est-à-dire prêts à produire "librement et continuellement un effort supplémentaire".

«A l'inverse, 20 % de leurs collègues se révèlent complètement désintéressés par leur travail, au point de ne chercher qu'à "produire le strict nécessaire". Quant aux 65 % restants, ils constituent une sorte de "ventre mou" de salariés vaguement désabusés, n'exerçant leur métier que de façon routinière.» Et le cabinet d'avertir : "Les employeurs sont confrontés à l'urgence de redonner envie à leurs salariés de s'engager".

«Peu motivés et sans illusions sur l'entreprise», ceux-ci pourraient être remotivés, selon des psychologues et sociologues, par un peu plus d'attention, de communication... et pour les cadres non supérieurs, de consultation, d'informations... «L'insatisfaction» de ces derniers «induit parfois une défiance qui va jusqu'à la remise en question des orientations stratégiques, de la légitimité des dirigeants ou de leur... intégrité !».

«Un tiers seulement des sondés considèrent leur direction comme "intègre" ou "exemplaire des valeurs de l'entreprise".» Tout ceci laisse à penser que d'abord il y a une incompatibilité grandissante entre les attentes des entreprises et celles des salariés. Qu'ensuite, l'engagement des salariés ne pouvant s'obtenir que par l'exemple, les cadres supérieurs et dirigeants ne donnent peut-être pas toujours le bon exemple.

Qu'enfin, la routine - ce penchant aggravé par la technique, les procédures, les tâches d'exécution... et peut-être par "quelque chose de mécanique et d'irréfléchi" dans l'évolution de la société et par un conformisme sclérosant - est aussi rassurante et "protectrice" dans ce monde changeant et brutal. Que peut donc toute méthode de motivation tant que c'est la routine qui "fait le bonheur" et non le travail en lui-même ?!

15/02/2013

Au pied du mur ou dans le mur ?

Nous ne pouvons pas dire que nous n'avons pas été avertis. De partout nous sont arrivés des propos alarmants. Il y a seize ans déjà, Françoise Giroud déclarait au Monde : «C'est la période la plus noire que j'ai connue, à cause de cette désespérance. Certes, j'ai vécu la guerre, les années noires de 1940-1945. Mais on espérait, on se battait. Aujourd'hui les gens se sentent impuissants, et, probablement, ils le sont».

«Plus personne ne contrôle plus rien, confiait en 2003 au Point le ministre-philosophe Luc Ferry. On est dépossédé. La marge de manœuvre et d'efficacité est étroite (...).» Et il s'interrogeait : «Est-ce qu'on est là pour décorer ? Est-ce que la politique existe ou bien disparaît-elle au profit de l'économie mondialisée et de la communication ?». Il se disait pourtant «confiant quant aux chances de limiter le contrecoup social de la mondialisation».

Limiter la casse, voilà à quoi était réduit le gouvernement. François Fillon, ministre alors des affaires sociales..., ne disait pas autre chose à un «Grand Jury RTL-"Le Monde"-LCI» : «(…) On va être placés devant des situations très difficiles en matière d'emploi dans les années qui viennent parce que l'élargissement de l'Union européenne, la montée en puissance de nouveaux pays industriels vont provoquer des délocalisations en cascade».

Mais, ajoutait-il, «nous devons éviter que le rythme de ces délocalisations soit incompatible avec la capacité de réaction de l'économie française». Comment ? Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en parlait aux 4 Vérités sur France 2 : «On a un pouvoir de créer, disons, les conditions pour que les acteurs économiques aient envie d'entreprendre et (...) créent les conditions de cette croissance».

Quel pouvoir !? La croissance n'était pas au rendez-vous, le déficit budgétaire et la dette se creusaient. Et Jacques Attali dans L'Express annonçait avant fin 2003 un plan de rigueur, «ce qui ramènera notre puissance et notre rayonnement à sa triste mesure. Il s'ensuivra une accélération de l'augmentation du chômage : les plans de licenciement d'aujourd'hui ne sont rien à côté de ceux qui se préparent». Nous étions au pied du mur.

Au stade où, comme le soulignait Patrick Devedjan, ministre délégué aux libertés locales, «L'important, c'est de maintenir la cohésion sociale». Françoise Giroud s'exprimait encore ainsi : «On a envie de dire : arrêtons-nous cinq minutes, réfléchissons. Mais est-ce que les gens ont encore la faculté de réfléchir ? (...) Je ne crois pas au progrès moral, mais je crois au progrès social, et nous sommes en pleine régression».